Commentaire D’Arrêt : CJUE, Arrêt du 13 Novembre 2018, Denis Raugevicius, C-247/17

Commentaire D’Arrêt : CJUE, Arrêt du 13 Novembre 2018, Denis Raugevicius, C-247/17

Selon l’avocat général DARMON, « l’intégration, ce n’est pas seulement un concept juridique, c’est aussi quelque chose qui se vit, se ressent, personnellement, intimement »1Conclusions de l’avocat général DARMON M., 3 octobre 1990, Carmina di Leo, C-308/89, ECLI:EU:C:1990:344, point 14.. En ce sens, « l’affirmation de valeurs et d’une citoyenneté communes […] entraîne un recentrage sur l’individu, un déplacement de l’intérêt des États vers celui du citoyen de l’Union »2POTVIN-SOLIS, L., « Valeurs communes et citoyenneté européenne : quels progrès de l’ identité de l’ union devant la cour de justice ? » in Les valeurs communes dans l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.122.. C’est en mettant en exergue une protection inhérente aux citoyens de l’Union et ipso facto au processus d’intégration, que la Cour de justice de l’Union européenne3Ci-après, « Cour ». Anciennement Cour de justice des Communautés européennes, avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, 1 décembre 2009. a rendu un arrêt en Grande chambre le 13 novembre 2018, Denis Raugevicius.

En l’occurrence, M. Raugevicius, ressortissant lituanien et russe, a été déclaré coupable par une juridiction russe, d’une infraction en matière de stupéfiants et condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis. Une juridiction russe, en révoquant ce sursis, a condamné M. Raugevicius à une peine de quatre ans. De plus, un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre, suite auquel il a été condamné par une juridiction finlandaise à une interdiction de voyager en dehors de cet État membre. Ultérieurement, la Fédération de Russie a adressé aux autorités finlandaises une demande tendant à ce que M. Raugevicius soit extradé vers la Russie à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté. Toutefois, il s’oppose à son extradition, en alléguant du fait qu’il vivait en Finlande depuis longtemps et qu’il est père de deux enfants résidant en Finlande et possédant la nationalité finlandaise.

Après la saisine par le ministère de la Justice, la Cour suprême, en considérant qu’elle est une « juridiction » au sens de la jurisprudence de la Cour4CJUE, arrêt du 19 décembre 2012, Epitropos tou Elegktikou Synedriou, C-363/11, EU:C:2012:825, point 18. , décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions préjudicielles au titre de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, TFUE), parvenues à la Cour le 16 mai 2017.

Par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 TFUE et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, en présence d’une demande d’extradition, formée par un pays tiers, d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, l’État membre requis, dont le droit national interdit l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine et prévoit la possibilité qu’une telle peine prononcée à l’étranger soit purgée sur son territoire, est tenu de rechercher s’il existe une mesure alternative à l’extradition, moins attentatoire à l’exercice de ce droit de libre circulation.

La Cour, statuant en Grande chambre, conclut que les articles 18 TFUE et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, en présence d’une demande d’extradition, formée par un pays tiers, d’un citoyen de l’Union européenne ayant exercé son droit de libre circulation, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, l’État membre requis, dont le droit national interdit l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine et prévoit la possibilité qu’une telle peine prononcée à l’étranger soit purgée sur son territoire, est tenu d’assurer à ce citoyen de l’Union, dès lors qu’il réside de manière permanente sur son territoire, un traitement identique à celui qu’il réserve à ses propres ressortissants en matière d’extradition.

La composition de la chambre qui a rendu l’arrêt soumis à notre analyse dénote le caractère complexe et important de l’affaire. De plus, le caractère sérieux de l’affaire réside également dans le nombre considérable des parties intervenantes, à savoir la Commission et neuf autres gouvernements.

Dans quelle mesure l’égalité de traitement ancrée dans l’article 18 TFUE empiète sur le risque d’impunité en cas d’extradition d’un citoyen de l’Union, tout en garantissant le respect des droits fondamentaux par le biais de la citoyenneté de l’Union ?

La Cour place, en l’occurrence, la citoyenneté de l’Union au centre de l’égalité de traitement issue de l’article 18 TFUE (I), tout en procédant à une extension de celle-ci par le biais de la protection des droits fondamentaux (II).

I. L’exploitation globale de l’égalité de traitement : une volonté de consolidation de la citoyenneté de l’Union.

L’arrêt Denis Raugevicius représente une opportunité pour la Cour d’affirmer sa volonté de consolidation de la citoyenneté de l’Union par le biais de la non-discrimination en raison de la nationalité, tout en préservant la sécurité juridique (A). Néanmoins, la délicate articulation de l’inégalité de traitement avec l’évitement du risque d’impunité ne peut aboutir qu’à l’admission des restrictions proportionnelles à la libre circulation des citoyens de l’Union (B).

A. La réaffirmation classique du principe d’égalité de traitement: un facteur considérable dans la préservation du principe de sécurité juridique.

Ayant déjà eu l’occasion de se prononcer sur les questions relatives à l’extradition d’un citoyen de l’Union vers un État tiers aux fins de poursuites pénales5CJUE, arrêts du 6 septembre 2016, Petruhhin, C-182/15, ECLI:EU:C:2016:630 ; du 10 avril 2018, Pisciotti, C-191/16, ECLI:EU:C:2018:222., tel n’a pas été le cas pour l’extradition vers un État tiers à des fins d’exécution d’une peine jusqu’à l’arrêt Denis Raugevicius du 13 novembre 2018. Sans opérer un revirement stricto sensu de sa jurisprudence, la Cour a l’opportunité de la préciser, ainsi que de la compléter en ce qui concerne l’extradition des citoyens de l’Union à des fins d’exécution d’une peine.  

Le raisonnement de la Cour commence classiquement par la vérification du champ d’application du droit de l’Union, dans la mesure où cela influence d’une part, sur les réponses aux questions préjudicielles qui lient le juge national6CJUE, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, ECLI:EU:C:2010:581. et d’autre part, sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne7CJUE, arrêt du 26 février 2013, Åklagaren contre Hans Åkerberg Fransson, C-617/10, ECLI:EU:C:2013:105. (ci-après, Charte).

Ainsi, sans surprise et ayant suivi le point 40 des conclusions de l’avocat général dans l’affaire au principal8Conclusions de l’avocat général BOT Y., Denis Raugevicius, 25 juillet 2018, C-247/17, ECLI:EU:C:2018:898., la Cour soutient au point 27 qu’une situation dans laquelle un citoyen de l’Union, en l’espèce M. Raugevicius, ressortissant de la République de Lituanie qui s’est déplacé dans un autre État membre, en l’occurrence en Finlande, qui a fait usage de sa liberté de circulation, relève du champ d’application du droit de l’Union, plus précisément de l’article 18 TFUE. De ce fait, il jouit de la protection résultant de cette disposition de droit primaire dans la mesure où elle consacre le principe de non-discrimination en fonction de la nationalité et cela malgré le fait selon lequel il détient la nationalité d’un État tiers, ici de Russie. Il en résulte une consolidation inhérente de la citoyenneté de l’Union, par le principe de non-discrimination en raison de la nationalité.

C’est en application d’une jurisprudence bien établie de la Cour que l’article 18 TFUE exige l’égalité de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine d’application des traités9CJCE, arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, EU:C:1989:47, point 10.. Ce rattachement à une jurisprudence constante évoque l’une des préoccupations de la Cour, notamment celle de préserver le principe de la sécurité juridique en tant qu’ « exigence fondamentale »10CJCE, 14 juillet 1972, J. R. Geigy AG c/ Commission, 52/69, ECLI:EU:C:1972:73. et implicitement de renforcer la stabilité de l’ordre juridique de l’Union11DERO-BUGNY, D., « Chapitre VIII. – Les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime » in Traité de droit administratif européen, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 653..

Au point 29 de son raisonnement la Cour réitère sa position traditionnelle12CJCE, arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a., C-369/90, EU:C:1992:295, point 15., selon laquelle « la double nationalité d’un État membre et d’un pays tiers », en l’espèce les nationalités lituanienne et russe, « ne saurait priver l’intéressé des libertés qu’il tire du droit de l’Union en tant que ressortissant d’un État membre ». En se ralliant à sa jurisprudence antérieure, il était attendu qu’un gage de protection se concrétise, encore une fois, en faveur des ressortissants des États membres, en l’occurrence M. Raugevicius, d’autant plus qu’ « à présent, les libertés de circulation doivent être comprises comme l’une des composantes essentielles du statut fondamental des ressortissants des États membres »13Conclusions de l’avocat général MADURO P., 30 mars 2006, Vassilopoulos et Marinopoulos, C-158/04 et C-159/04, point 40..

La Cour s’efforce à préserver la sécurité juridique en tant que principe transversal, par le biais de la non-discrimination en raison de la nationalité. Néanmoins, elle se trouve face à la difficile coordination de l’inégalité de traitement avec le détour du risque d’impunité.

B. L’épineuse conciliation de l’inégalité de traitement des ressortissants de l’Union avec l’évitement du risque d’impunité. 

Aux termes de l’article 9, troisième alinéa de la Constitution finlandaise, est interdite l’extradition des seuls ressortissants finlandais. En effet, M. Raugevicius ayant la nationalité d’un autre État membre, à savoir, la nationalité lituanienne, ne jouit pas de la non extradition (point 19).

En se fondant sur la jurisprudence Petruhhin14CJUE, arrêt Petruhhin précité, point 32., la Cour constate qu’ « une règle nationale qui interdit l’extradition des seuls ressortissants finlandais introduit une différence de traitement entre ceux-ci et les ressortissants des autres États membres », susceptible d’affecter la liberté de circuler (point 28) ancrée dans l’article 21, paragraphe 1, TFUE. La Cour qualifie à nouveau l’inégalité de traitement de « restriction de la liberté de circulation » (point 30), restriction considérée comme « excessive » par certains auteurs15REBUT, D., Principe de non-extradition des nationaux et liberté de circulation : la Cour de justice « hors sol », Rev. Aff. Eur., 2016/3, p. 511.. Ce constat était prévisible, dès lors que « le principe général d’égalité dont l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité n’est qu’une expression spécifique, est un des principes fondamentaux du droit communautaire »16CJCE, arrêt du 16 octobre 1980, Hochstrass, 147/79, point 7., qui s’encadre dans une difficulté traditionnelle. A contrario, si la Cour ignorait les effets d’une telle différence de traitement sur la liberté de circulation des personnes en tant que liberté fondamentale, les droits que tirent les citoyens de l’Union des articles 18 TFUE et 21 TFUE seraient compromis.   

La suite du raisonnement de la Cour se fonde sur la constatation d’une restriction de la liberté de circulation générée par l’inégalité de traitement entre les ressortissants finlandais et les ressortissants des autres États membres (30), comme c’est le cas pour M. Raugevicius. Toutefois, elle opère un contrôle classique de proportionnalité lato sensu qui est valable pour toutes les libertés de circulation au sein du marché intérieur, à savoir l’admission des justifications17CJCE, arrêt du 20 février 1979, REWE-ZENTRAL AG, C-120/78, ECLI:EU:C:1979:42. issues des « considérations objectives », proportionnelles à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (point 31) et nécessaires pour la protection des intérêts dans la mesure où « ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives » (point 32). En l’espèce, la Cour se rallie à sa jurisprudence antérieure18CJUE, arrêt Petruhhin précité ; CJUE, arrêt du 27 mai 2014, Spasic, C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, points 63 et 65 ; arrêt Pisciotti précité, point 47., ainsi qu’aux conclusions de l’avocat général dans l’affaire au principal19Conclusions de l’avocat général BOT Y., précitées, point 48., en considérant que l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction est légitime et permet de justifier une mesure restrictive (point 32).

En créant des bouleversements dans les interprétations doctrinales, les motifs tirés de l’affaire Petruhhin sont qualifiés de « stupéfiants » en raison du fait qu’ils « ignorent résolument la particularité de la situation des citoyens européens en cause, lesquels sont, par hypothèse, des individus poursuivis ou condamnés […]. Or, ce fait pourrait assurément faire douter qu’ils bénéficient du droit à la liberté de circulation dans les mêmes conditions que les citoyens européens qui ne se trouvent pas dans cette situation. »20REBUT, D., Principe de non-extradition des nationaux et liberté de circulation : la Cour de justice « hors sol », Rev. Aff. Eur., 2016/3, p. 513.. Toutefois, une telle analyse n’est pas valable en l’occurrence, dès lors qu’elle crée une différence de traitement entre les citoyens de l’Union ayant commis des infractions et les citoyens de l’Union n’étant pas dans cette situation.

Or, la liberté de circuler assurée par le droit de l’Union constitue une liberté fondamentale qui adoucit les colères des États tiers dès lors qu’il existe la possibilité de « purger sur le territoire finlandais la peine à laquelle il a été condamné en Russie » (point 42). En ce sens, au-delà de l’évitement du risque d’impunité, la citoyenneté de l’Union engendre également le respect des droits fondamentaux.

II. La mise en exergue de la citoyenneté de l’Union en tant que garante inhérente de la protection des droits fondamentaux.

Au-delà du caractère nécessaire et proportionnel exigé par la Cour dans l’admission des restrictions à la libre circulation des citoyens de l’Union, elle souligne l’obligation du respect des droits fondamentaux (B). En dehors de cela, pour mettre en œuvre l’égalité de traitement pour les ressortissants non finlandais, la Cour s’appuie sur un seul critère, à savoir le degré d’intégration certain (A).

A. L’extension de la citoyenneté de l’Union par la seule exigence du degré d’intégration certain.

Ayant une portée considérable à plusieurs titres, l’arrêt offre à la Cour l’occasion de réitérer le principe d’égalité de traitement entre citoyens européens dans le cadre d’une procédure d’extradition d’un ressortissant d’un État membre vers un État tiers, à travers le statut de citoyen de l’Union (point 43), lequel a vocation, selon une jurisprudence constante, à être le statut fondamental des ressortissants des États membres21CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, ECLI:EU:C:2001:458, point 31 ; CJUE, arrêt du 12 mars 2019, Tjebbes e.a., C-221/17, ECLI:EU:C:2019:189, point 31..

À la lumière du pragmatisme juridique, l’arrêt Denis Raugevicius constitue une solution essentielle pour le renforcement du statut de citoyen de l’Union. En ne remplaçant pas les citoyennetés nationales et en comportant « un ancrage dans la nationalité des États », la citoyenneté européenne, « en tant que statut autonome […], peut agir sur la frontière, l’articulation voire la combinaison entre le statut national et le statut européen du citoyen des États membres »22POTVIN-SOLIS, L., « Valeurs communes et citoyenneté européenne : quels progrès pour l’identité de l’Union devant la Cour de justice ? » in Les valeurs communes dans l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.132..

En ce sens, le degré d’intégration certain dans la société de l’État finlandais en l’espèce constitue la clé pour l’application d’un traitement égal entre les ressortissants finlandais et les ressortissants d’autres États membres qui résident de manière permanente en Finlande et qui démontrent un degré d’intégration certain, parce qu’ils se trouvent dans une situation comparable (point 46).

Résultant d’une jurisprudence établie antérieurement23CJCE, arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C-123/08, EU:C:2009:616, point 67., le degré d’intégration certain semble suffire pour la Cour, à savoir le fait que M. Raugevicius vivait en Finlande depuis longtemps (point 19), sans analyser le fait qu’il était père de deux enfants résidant en Finlande et possédant la nationalité finlandaise (point 19). Mais la réticence de la Cour sur ce point n’est peut-être pas inopinée. Cela s’explique par le fait que le critère de la résidence permanente suffit pour caractériser un degré d’intégration certain dans la société de l’État finlandais. En effet, la Cour maintient un cadre large pour la qualification de degré d’intégration certain, en renforçant implicitement la citoyenneté de l’Union.

Par conséquent, les articles 18 TFUE et 21, paragraphe 1, TFUE tracent, avec la primauté du droit de l’Union24CJCE, arrêt du 15 juillet 1964, Costa/E.N.E.L., C-6/64, ECLI:EU:C:1964:66., une dimension triangulaire que les États membres ne peuvent pas dépasser, dès lors qu’ils doivent respecter le droit de l’Union dans l’adoption des règles régissant l’extradition des États membres.

L’arrêt Petruhhin sur lequel le fonde le raisonnement de la Cour en l’espèce, s’encadre dans la liste des décisions « post-Brexit », « comme si la Cour avait à cœur, […], de donner une chair nouvelle à la citoyenneté de l’Union »25BENLOLO CARABOT, M., cité par PICOD F., « Cour de justice, gde ch., 6 septembre 2016, Aleksei Petruhhin, aff. C-182/15, ECLI:EU:C:2016:630 » in Jurisprudence de la CJUE 2016, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 204., tout en exigeant le respect des droits fondamentaux.

B. L’exigence inhérente du respect des droits fondamentaux en cas d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté.

L’arrêt soumis à notre analyse constitue une application de la jurisprudence Aranyosi et Căldăraru26CJUE, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15, ECLI:EU:C:2016:198, point 104. de 2016 et LM de 201827CJUE, arrêt du 25 juillet 2018, LM, C-216/18 PPU, ECLI:EU:C:2018:586, point 79., dans la mesure où la Cour admet les limitations à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, aux termes de la protection des droits fondamentaux et plus particulièrement de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants et respectivement du droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial.  

En l’espèce, la Cour met en exergue une obligation pour l’État membre requis envisageant une éventuelle extradition d’un ressortissant d’un autre État membre dans un État tiers, de « vérifier que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits garantis par la Charte »28CJUE, arrêt du 13 novembre 2018, Denis Raugevicius, C-247/17, ECLI:EU:C:2018:898, point 49. qui est applicable en l’espèce grâce à la mise en œuvre du droit de l’Union29CJUE, arrêt Aklagaren précité..

L’adverbe « notamment » figurant au point 49 de l’arrêt dénote une importance particulière accordée aux droits ancrés dans l’article 19 de la Charte, dont le deuxième paragraphe incorpore la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des Droits de l’Homme relative à l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme30Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux, JOUE, n° C 303, 14 décembre 2007, p. 17..

Conformément à une comparaison avec la libre circulation des marchandises devant s’articuler avec la dignité humaine31CJCE, arrêt du 14 octobre 2004, Omega, C-36/02, ECLI:EU:C:2004:614., la Cour se trouve en l’occurrence dans l’obligation épineuse d’articuler deux impératifs, la non-discrimination des citoyens de l’Union en raison de leur nationalité d’une part, et l’évitement du risque d’impunité d’autre part. D’où la mise en œuvre d’un raisonnement classique qui admet les restrictions proportionnelles à l’objectif poursuivi, tout en respectant les droits garantis par la Charte.

En effet, cet arrêt illustre que la citoyenneté européenne est « une clef de voûte du droit de l’Union européenne »32MARZO, C., « L’impact du Brexit sur la citoyenneté européenne » in Le Brexit, Bruxelles, Bruylant, 2017, p.273., qui permet de bénéficier non seulement des droits et libertés découlant des articles 18 TFUE et 21 TFUE, mais aussi de certaines protections et garanties en matière de droits fondamentaux en cas d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté vers un État tiers à l’Union.

Étant une application de l’article 19 de la Charte, suite aux affaires Petruhhin et Pisciotti, l’arrêt Denis Raugevicius participe incontestablement à la consolidation de la protection des droits fondamentaux au sein de l’Union. Ainsi, la Cour exige le respect des obligations par les États membres en vertu de la jurisprudence Simmenthal33CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, ECLI:EU:C:1978:49., tout en affinant la structure jurisprudentielle sur la protection des citoyens de l’Union en matière d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté. Qualifiée à juste titre de « moteur de l’intégration » par le juge PESCATORE, la Cour contribue ainsi, par le biais du renvoi préjudiciel en interprétation, à l’objectif d’intégration.

Rédigé par Tatiana Vârlan


References

1 Conclusions de l’avocat général DARMON M., 3 octobre 1990, Carmina di Leo, C-308/89, ECLI:EU:C:1990:344, point 14.
2 POTVIN-SOLIS, L., « Valeurs communes et citoyenneté européenne : quels progrès de l’ identité de l’ union devant la cour de justice ? » in Les valeurs communes dans l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.122.
3 Ci-après, « Cour ». Anciennement Cour de justice des Communautés européennes, avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, 1 décembre 2009.
4 CJUE, arrêt du 19 décembre 2012, Epitropos tou Elegktikou Synedriou, C-363/11, EU:C:2012:825, point 18.
5 CJUE, arrêts du 6 septembre 2016, Petruhhin, C-182/15, ECLI:EU:C:2016:630 ; du 10 avril 2018, Pisciotti, C-191/16, ECLI:EU:C:2018:222.
6 CJUE, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, ECLI:EU:C:2010:581.
7 CJUE, arrêt du 26 février 2013, Åklagaren contre Hans Åkerberg Fransson, C-617/10, ECLI:EU:C:2013:105.
8 Conclusions de l’avocat général BOT Y., Denis Raugevicius, 25 juillet 2018, C-247/17, ECLI:EU:C:2018:898.
9 CJCE, arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, EU:C:1989:47, point 10.
10 CJCE, 14 juillet 1972, J. R. Geigy AG c/ Commission, 52/69, ECLI:EU:C:1972:73.
11 DERO-BUGNY, D., « Chapitre VIII. – Les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime » in Traité de droit administratif européen, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 653.
12 CJCE, arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a., C-369/90, EU:C:1992:295, point 15.
13 Conclusions de l’avocat général MADURO P., 30 mars 2006, Vassilopoulos et Marinopoulos, C-158/04 et C-159/04, point 40.
14 CJUE, arrêt Petruhhin précité, point 32.
15 REBUT, D., Principe de non-extradition des nationaux et liberté de circulation : la Cour de justice « hors sol », Rev. Aff. Eur., 2016/3, p. 511.
16 CJCE, arrêt du 16 octobre 1980, Hochstrass, 147/79, point 7.
17 CJCE, arrêt du 20 février 1979, REWE-ZENTRAL AG, C-120/78, ECLI:EU:C:1979:42.
18 CJUE, arrêt Petruhhin précité ; CJUE, arrêt du 27 mai 2014, Spasic, C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, points 63 et 65 ; arrêt Pisciotti précité, point 47.
19 Conclusions de l’avocat général BOT Y., précitées, point 48.
20 REBUT, D., Principe de non-extradition des nationaux et liberté de circulation : la Cour de justice « hors sol », Rev. Aff. Eur., 2016/3, p. 513.
21 CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C-184/99, ECLI:EU:C:2001:458, point 31 ; CJUE, arrêt du 12 mars 2019, Tjebbes e.a., C-221/17, ECLI:EU:C:2019:189, point 31.
22 POTVIN-SOLIS, L., « Valeurs communes et citoyenneté européenne : quels progrès pour l’identité de l’Union devant la Cour de justice ? » in Les valeurs communes dans l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2014, p.132.
23 CJCE, arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C-123/08, EU:C:2009:616, point 67.
24 CJCE, arrêt du 15 juillet 1964, Costa/E.N.E.L., C-6/64, ECLI:EU:C:1964:66.
25 BENLOLO CARABOT, M., cité par PICOD F., « Cour de justice, gde ch., 6 septembre 2016, Aleksei Petruhhin, aff. C-182/15, ECLI:EU:C:2016:630 » in Jurisprudence de la CJUE 2016, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 204.
26 CJUE, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C-404/15, ECLI:EU:C:2016:198, point 104.
27 CJUE, arrêt du 25 juillet 2018, LM, C-216/18 PPU, ECLI:EU:C:2018:586, point 79.
28 CJUE, arrêt du 13 novembre 2018, Denis Raugevicius, C-247/17, ECLI:EU:C:2018:898, point 49.
29 CJUE, arrêt Aklagaren précité.
30 Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux, JOUE, n° C 303, 14 décembre 2007, p. 17.
31 CJCE, arrêt du 14 octobre 2004, Omega, C-36/02, ECLI:EU:C:2004:614.
32 MARZO, C., « L’impact du Brexit sur la citoyenneté européenne » in Le Brexit, Bruxelles, Bruylant, 2017, p.273.
33 CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, ECLI:EU:C:1978:49.

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