INTERVIEW : Martine MÉRIGEAU – Directrice Générale du Centre Européen de la Consommation

INTERVIEW : Martine MÉRIGEAU – Directrice Générale du Centre Européen de la Consommation

Martine Mérigeau, drapeau France, drapeau Allemagne
Martine MÉRIGEAU – Directrice Générale du Centre Européen de la Consommation.
Crédits : Centre Européen de la Consommation.

Le Centre Européen de la Consommation1Ci-après, « CEC ». a été créé en 1993 pour informer, conseiller et aider gratuitement les consommateurs.

Il traite des problématiques de la région transfrontalière, ainsi que des litiges de dimension européenne.

Découvrez dans cet article, le parcours de Madame Martine MÉRIGEAU, Directrice Générale du CEC, ses responsabilités, le fonctionnement du CEC, les problématiques traitées par le CEC et autres informations.

1. Quel est votre parcours universitaire et professionnel ?

« J’ai fait mes études de droit à l’Université Bordeaux : la licence de droit, la maîtrise en droit privé, deux diplômes d’études approfondies (DEA) en droit pénal et criminologie et en droit privé (civil et commercial) à Bordeaux I. Ensuite, je suis partie en Allemagne à Cologne puis à Wuppertal où j’ai appris l’allemand et j’ai commencé une thèse de droit consacrée à la comparaison du droit pénal allemand et français. Durant la préparation de la thèse de droit, j’ai assumé, en parallèle, la responsabilité du Centre International de documentation et d’études sur les Conflits des Jeunes, à Wuppertal en Allemagne. Après avoir soutenu ma thèse de droit à Bordeaux, j’ai obtenu le Certificat d’Aptitude à la profession d’avocat (CAPA) à Strasbourg en 1991.    

Installée à Fribourg-en-Brisgau, j’ai exercé la profession d’avocate pendant une année. Ensuite, je me suis spécialisée en droit européen de la consommation et j’ai mis en place, avec l’aide des États français et allemand, ainsi que de la Commission européenne, une agence transfrontalière franco-allemande d’information et de conseils aux consommateurs : Euro-Info-Consommateurs. Son objet consiste à protéger et garantir les intérêts des consommateurs européens. En 1993, cette association est composée de 3 personnes. En 2005, le Centre de Kehl devient le seul centre binational du réseau européen, initié par la Commission européenne. En 2011, Euro-Info-Consommateurs devient, par un changement de statuts, le Centre Européen de la Consommation. Aujourd’hui, il existe un Centre Européen des Consommateurs dans chaque État membre, ainsi qu’en Norvège, Royaume-Uni et en Islande. » 

2. Pourriez-vous décrire vos responsabilités en tant que Directrice Générale du Centre Européen de la Consommation ?

« Au sein de l’association de droit allemand, mes responsabilités consistent à mettre en œuvre tout ce qui a été décidé au niveau du conseil d’administration. Ce dernier constitue désormais l’organe décisionnel, dont les membres sont élus par l’Assemblée générale. Depuis la réforme des statuts en décembre 2020, il comprend des membres de droit qui sont les  partenaires financiers allemands et français, ainsi des membres élus, députés nationaux, européens etc….  

Je suis responsable financièrement sur mon patrimoine propre, je suis également responsable au niveau administratif, du personnel, de la communication, ainsi que de la gestion intégrale de l’association. »

3. Quelles difficultés avez-vous rencontrées tout au long de votre carrière ?

« Une difficulté c’était d’améliorer l’apprentissage de la langue allemande. Je conseille les jeunes à aller dans un pays étranger pour apprendre une langue étrangère, pour apprendre comment cela fonctionne dans d’autres pays, ainsi que pour avoir une ouverture d’esprit, indispensable pour tous les métiers juridiques.

Concernant les stages, en Allemagne, par rapport à la France, il y a des stages imposés qui offrent aux étudiants une ouverture sur le monde actuel et la possibilité de découvrir les métiers de droit sur place. Mon regret c’est qu’en France, les stages pratiques sont imposés tardivement. Je conseille les étudiants à rechercher des stages extérieurs, afin de connaître différents métiers et de poursuivre une spécialisation.

En outre, je trouve que les sélections par voie de concours créent une inégalité de départ, notamment à cause de l’épreuve de culture générale pour des jeunes socialement défavorisés. Il y a d’autres critères de sélection qu’il faudrait prendre en compte : il suffit de jeter un œil sur les autres pays. »

4. Il existe un Centre Européen des Consommateurs dans chaque État membre, ainsi qu’en Norvège, Royaume-Uni et en Islande. Pourquoi la France et l’Allemagne ont décidé de cohabiter sous un même toit à Kehl, à la frontière avec Strasbourg ?    

« Le Centre Européen de la Consommation est une association franco-allemande, créée en 1993, spécialisée dans le traitement des litiges transfrontaliers et l’information des consommateurs. Le gouvernement français a décidé de mettre son centre national sur le territoire allemand, afin de faciliter les synergies et la mutualisation de l’infrastructure entre les deux services. C’était une décision innovatrice et audacieuse qui a maintenant prouvé toute sa pertinence et son efficacité. Le Centre de Kehl est aujourd’hui  le plus grand centre qui représente les deux plus grands pays européens. 

Nous traitons des problématiques spécifiques de la région transfrontalière, là où la mobilité des citoyens est la plus grande, mais aussi et grâce à nos deux services européens,  les litiges de dimension européenne. Nous sommes les interlocuteurs directs des consommateurs français et allemands, dès qu’ils franchissent une frontière d’un pays européen. 

En outre et pour renforcer la visibilité des services européens au service des consommateurs, la France et l’Allemagne ont regroupé les points de contact national pour le règlement de litiges transfrontaliers, le commerce électronique, le géoblocage, les prestations de services au sein de l’association franco-allemande de Kehl. »

5. Comment le Centre Européen de la Consommation aide les citoyens européens à faire valoir leurs droits et à résoudre divers litiges ?

« Pour la résolution des litiges européens dans un autre État membre, la Commission européenne a mis en place un système Intranet qui est à la disposition de l’ensemble des 27 Centres Européens des Consommateurs. Par exemple, vous êtes français, vous allez en Espagne et vous n’êtes pas satisfait d’une location saisonnière. Pour résoudre ce litige, vous pouvez contacter le Centre Européen des Consommateurs France, via un formulaire de saisine sur le site qui est relié au système Intranet de la Commission. Le client envoie tous les documents contractuels en langue française. Nous, nous saisissons le litige, nous analysons le droit applicable, si la demande est fondée, et si le règlement peut se faire à l’amiable. Nous transmettons toutes les informations aux collègues espagnols via Intranet, en anglais. En parallèle, nous gardons le contact en langue française avec le consommateur sur l’état d’avancement de son dossier. Le professionnel sera contacté par écrit dans sa langue.

80% des litiges transfrontaliers traités au Centre Européen de la Consommation sont réglés à l’amiable au profit des consommateurs.

Mise à part le zone frontalière, le pays avec lequel il y a le plus de litiges c’est l’Allemagne, suivi par l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie. »

6. Quels sont les litiges les plus souvent rencontrés ?

« Les litiges le plus souvent rencontrés sont dans les domaines suivants :

  • Le droit des passagers, les réservations de séjour et les remboursements concernant les voyages annulés ou reportés, notamment à cause de la crise sanitaire (aériens ou ferroviaires) ;
  • Le commerce électronique
  • L’achat de véhicules d’occasion notamment en Allemagne. Les litiges de ce type exigent beaucoup d’efforts, beaucoup de ressources humaines (avocats, experts) et les procédures sont très longues.
  • Les fraudes, escroqueries sont nombreuses, comme la location d’appartements ou la vente de véhicules qui n’existent pas ; malheureusement, il n’y a pratiquement aucune chance pour un règlement, qu’il soit amiable ou judiciaire.
  • Les soins transfrontaliers. La directive européenne en matière d’accès aux soins transfrontaliers d’harmonisation minimale en est l’illustration, laissant une marge de manœuvre importante aux États membres dans la transposition. La France et l’Allemagne ont des interprétations très différentes, ce qui entraine une insécurité juridique pour les patients, principalement dans la région frontalière où la mobilité des citoyens est importante. Par exemple, le législateur allemand impose une autorisation préalable pour tous les soins réalisés dans un cadre hospitalier, sans notion de durée minimale, comme le précise la directive. De son côté, la France soumet à autorisation préalable l’imagerie médicale, alors même que la région Grand Est est sous-équipée en appareils de ce type. Si le patient ne dispose pas d’une autorisation préalable, ses soins ne sont pas remboursés. »  

7. Est-ce que la situation pandémique a influencé l’activité du Centre Européen de la Consommation ?  Est-ce que la pandémie globale a engendré de nouveaux litiges pour les consommateurs ?

« L’année 2020 restera l’année de tous les engagements pour répondre aux multiples questions et problèmes des consommateurs confrontés aux restrictions de circulation, liées à la pandémie. Les changements continuels de réglementations ont entraîné une grande incertitude et des restrictions massives en matière de mobilité, d’achats et de services. Les sollicitations en provenance de la région frontalière ont augmenté de 62 %.

Le CEC et ses services ont joué un rôle majeur depuis le début de la crise sanitaire en termes d’information et de conseils aux citoyens. Plus de 2 millions de visiteurs ont utilisé les informations quotidiennement actualisées sur nos sites internet. La situation pandémique a engendré des sollicitations incroyables, notamment sur les conditions d’entrée et de sortie des territoires des États membres. La situation était compliquée même au niveau des Länder qui prenaient des décisions différentes. Cela a créé une insécurité totale des personnes. »  

8. Comment est organisée une journée de travail au Centre Européen de la Consommation ?

« La journée de travail dépend du secteur (juridique, communication ou informatique). Nous avons des juristes spécialisés qui analysent différents litiges transfrontaliers dont on est saisis, par exemple, concernant l’achat de véhicule ou les voyages. Ils préparent le dossier en analysant les faits, le droit applicable, le bienfondé de la demande du consommateur et prépare l’intervention écrite pour faire valoir les droits des consommateurs. Ils répondent par email ou par téléphone à toutes demandes de consultations juridiques.

Concernant la communication, nous avons un programme de rédaction de communiqués de presse, de publication d’articles sur notre site internet qui, en 2020, a accueilli deux millions de visiteurs. Nous avons également un programme de mise à jour de la page internet, ainsi que de la mise à jour des informations sur les réseaux sociaux. »    

9. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes diplômés souhaitant travailler pour un organe, organisme ou institution de l’Union européenne ?

« Je conseille les jeunes diplômés à apprendre au moins une langue étrangère, ainsi qu’à élargir leurs relations. Se rapprocher des parlementaires européens pour voir comment se déroule le processus législatif est très intéressant et très formateur. Je conseille les jeunes diplômés à faire des stages, faire partie des associations européennes ou des partis politiques qui prônent l’Europe. »   

10. Parmi vos lectures, avez-vous un auteur préféré ?

« Simone de Beauvoir. »  

References

1 Ci-après, « CEC ».

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