Une Compagnie Aérienne Est Responsable Des Dommages Causés Par Un Café Chaud

Une Compagnie Aérienne Est Responsable Des Dommages Causés Par Un Café Chaud

Ayant fait l’objet d’une analyse antérieure, l’affaire portant sur le renversement d’un gobelet de café chaud dans l’avion vient d’être résolue.

Pour résumer le litige au principal, une passagère mineure, victime de brûlures pendant un vol, sollicite une indemnisation au titre des brûlures lui ayant été causées par le renversement d’une boisson chaude survenu, pour une raison inconnue, durant un vol transfrontalier opéré par Niki Luftfahrt GmbH de Majorque (Espagne) à Vienne (Autriche).1Pour plus de détails sur la procédure au niveau national, cliquez ici. 

La Cour de justice de l’Union européenne2Ci-après, « CJUE ». se rallie à la position de l’avocat général3Conclusions de l’avocat général HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE présentées le 26 septembre 2019 dans l’affaire C-532/18, ECLI:EU:C:2019:788. et conclut qu’une compagnie aérienne est responsable des dommages causés par un gobelet de café chaud qui se renverse, sans qu’il soit nécessaire que cet accident soit lié à un risque inhérent au vol.4CJUE, arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C-532/18, ECLI:EU:C:2019:1127.

Le syllogisme de la CJUE peut être résumé en six points :

  1. Premièrement, après avoir souligné que le règlement n°2027/975Règlement (CE) nº 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d’accident modifié par le règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 13 mai 2002. est applicable en l’espèce, du fait qu’il met en oeuvre les dispositions pertinentes de la convention de Montréal6Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international conclue à Montréal le 28 mai 1999., la CJUE se déclare compétente pour statuer à titre préjudiciel en l’occurrence, et cela parce que la convention de Montréal fait partie intégrante, depuis le 28 juin 2004, de l’ordre juridique de l’Union.
  2. Deuxièmement, le principal axe dans cette affaire constitue la délimitation du champ de la notion d’« accident » au sens de la convention de Montréal. Le caractère délicat de l’appréciation de cette notion s’explique par le fait que la convention de Montréal ne définit pas ce terme7Apparaissant cinq fois dans le texte de la convention de Montréal, est-il ignoré, exprès, par les rédacteurs? Pourquoi une importance minime accordée à ce terme, alors que c’est une notion déterminante pour l’éventuel engagement de la responsabilité des transporteurs aériens?. Ainsi, la CJUE est obligée de l’apprécier à la lumière de l’objet et du but poursuivis par la convention de Montréal.
  3. Troisièmement, de manière synthétique, mais, à mon avis, insuffisamment claire et insuffisamment précise, la CJUE définit la notion d’accident comme « un événement involontaire dommageable imprévu »8CJUE, arrêt Niki Luftfahrt précité, point 35..
  4. Quatrièmement, la CJUE rappelle l’existence d’une responsabilité objective des transporteurs aériens découlant de la convention de Montréal, dans le but « d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et [de] la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation »9Préambule de la convention de Montréal, alinéa 3.. Ce principe est fondé sur un « équilibre équitable des intérêts » des transporteurs et des passagers10La CJUE se fonde en l’espèce sur sa jurisprudence antérieure : CJUE, arrêts du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, points 31 et 33 ; du 22 novembre 2012, Espada Sánchez e.a., C‑410/11, EU:C:2012:747, points 29 et 30..
  5. Cinquièmement, la CJUE évoque que ce principe comporte, néanmoins, des exceptions. Par exemple, l’article 20 de la convention de Montréal prévoit que, dans le cas où le transporteur apporte la preuve que la négligence ou un autre acte ou omission préjudiciable du passager a causé le dommage ou y a contribué, le transporteur est exonéré en tout ou en partie de sa responsabilité à l’égard de ce passager. 
  6. Finalement, la question essentielle qui nous intéresse vise à déterminer si la notion d’accident doit être interprétée dans le sens où elle exige impérativement l’existence d’un risque inhérent au transport aérien. La réponse est négative, car la CJUE, comme l’avocat général11Conclusions de l’avocat général HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE présentées le 26 septembre 2019 dans l’affaire C-532/18, ECLI:EU:C:2019:788., considère que subordonner la responsabilité du transporteur à la condition d’un risque inhérent ayant causé un dommage, n’est conforme ni au sens ordinaire de la notion d’« accident »12Notion visée à l’article 17, §1, de la convention de Montréal., ni aux objectifs poursuivis par celle-ci.

Suite à la lecture de cet arrêt, on pourrait évoquer que celui-ci reflète, à première vue, l’existence de lacunes dans les textes internationaux. Par conséquent, la CJUE est amenée à statuer selon le sens ordinaire de la définition de la notion d’« accident ». Toutefois, le caractère objectif que la CJUE s’efforce de refléter sera volens nolens subjectivisé, et cela à cause du défaut de définition explicite de la notion d’« accident » dans la convention de Montréal. Elle interprète une notion issue d’une convention internationale ! Bien sûr que le doute sur sa compétence est écarté, car le règlement n°2027/9713Règlement (CE) nº 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d’accident modifié par le règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 13 mai 2002., applicable dans l’affaire au principal, met en œuvre les dispositions pertinentes de la convention de Montréal. Néanmoins, il est important de souligner qu’à la base, la convention de Montréal constitue le fruit de la volonté des États parties.

En plus d’affirmer sa suprématie, la CJUE fournit une interprétation d’une notion à la lumière du but et de l’objectif d’une convention internationale. Dans cet ordre d’idées, l’interprétation donnée par la CJUE lie tous les États membres de l’Union européenne, car selon une jurisprudence constante, un arrêt rendu à titre préjudiciel par la CJUE, ce qui est le cas en l’espèce, lie le juge national, quant à l’interprétation ou à la validité des actes des institutions de l’Union en cause, pour la solution du litige au principal14CJCE, arrêt du 14 décembre 2000, Fazenda Pública, C-446/98, ECLI:EU:C:2000:691, point 49 ; CJUE, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, ECLI:EU:C:2010:581, point 29.. Voilà une illustration de la délicatesse du contentieux de l’Union européenne et de ce que la CJUE peut apporter/réitérer sur le marché jurisprudentiel.

Par une telle interprétation de la notion d’accident, à savoir sans exiger un risque inhérent au transport aérien, la CJUE élargit la notion d’accident. Certes, la CJUE statue en droit et ne se prononce pas sur les faits. Toutefois, son interprétation détermine le sort du cadre factuel. Par conséquent, une charge lourde s’instaurerait sur les épaules des transporteurs aériens. Jurisprudence à utiliser avec modération, afin d’éviter les éventuelles conséquences de la mauvaise foi des passagers voyageant en avion.

Rédigé par Tatiana Vârlan

References

1 Pour plus de détails sur la procédure au niveau national, cliquez ici.
2 Ci-après, « CJUE ».
3, 11 Conclusions de l’avocat général HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE présentées le 26 septembre 2019 dans l’affaire C-532/18, ECLI:EU:C:2019:788.
4 CJUE, arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C-532/18, ECLI:EU:C:2019:1127.
5, 13 Règlement (CE) nº 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d’accident modifié par le règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 13 mai 2002.
6 Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international conclue à Montréal le 28 mai 1999.
7 Apparaissant cinq fois dans le texte de la convention de Montréal, est-il ignoré, exprès, par les rédacteurs? Pourquoi une importance minime accordée à ce terme, alors que c’est une notion déterminante pour l’éventuel engagement de la responsabilité des transporteurs aériens?
8 CJUE, arrêt Niki Luftfahrt précité, point 35.
9 Préambule de la convention de Montréal, alinéa 3.
10 La CJUE se fonde en l’espèce sur sa jurisprudence antérieure : CJUE, arrêts du 6 mai 2010, Walz, C‑63/09, EU:C:2010:251, points 31 et 33 ; du 22 novembre 2012, Espada Sánchez e.a., C‑410/11, EU:C:2012:747, points 29 et 30.
12 Notion visée à l’article 17, §1, de la convention de Montréal.
14 CJCE, arrêt du 14 décembre 2000, Fazenda Pública, C-446/98, ECLI:EU:C:2000:691, point 49 ; CJUE, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov, C-173/09, ECLI:EU:C:2010:581, point 29.

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